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Un boudoir dans un tiroir...
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Un boudoir dans un tiroir...
17 juillet 2008

Lettre du 17 juillet...1919 !

Devoir de mémoire pour moi.
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Mémoire pour ce grand-père que je n'ai pas connu, décédé 3 jours après ma naissance, et qui a tant souffert de la Grande Guerre.

Je n'ai qu'une seule lettre de lui, écrite il y a 89 ans aujourd'hui, et je vous la livre à l'occasion de cet anniversaire.

Pour moi, elle appartient à l'Histoire...

(cette lettre était adressée à mon arrière-grand-mère Joséphine Suzanne Schaafs épouse Perrin...
Au cas où la citer me fasse retrouver des cousins éloignés...)

Fez, le 17 juillet 1919,

Bien chers tous,

Maman je t'écris ces quelques lignes pour te donner des nouvelles; non pas des nouvelles du jour, mais des nouvelles de.....l'année dernière, en 1918, à cette époque-ci. Parce que tu sais, les nouvelles du jour, je ne saurais pas trop quoi te raconter, il n'y a toujours rien de changé, ici c'est toujours la même chose.

Presque tous les matins en entrant dans mon bureau, j'arrache une feuille au calendrier pour le mettre à jour, à en voyant la date il me revient à l'idée ce que je faisais sur le front l'année dernière le même jour.

Je me souviens très bien que le 13 juillet, nous étions descendus au repos dans un petit patelin à moitié démoli à environ un kilomètre et demi des lignes. On ne nous avait pas envoyé bien loin au repos parce que tout le monde s'attendait à une attaque du côté des boches, et c'est ce qui est arrivé aussi.
Enfin la journée du 13 s'est très bien passée, il n'y a pas eu d'incident à signaler; nous avons été aux douches, chez le coiffeur, j'ai donné mon linge à laver etc....etc... et dans la nuit nous avons été creuser des tranchées pendant deux heures de temps, puis nous nous sommes couchés.
Le lendemain, 14 juillet: au front c'est le 14 juillet d'un bout à l'autre de l'année toutes les nuits, car on lance des fusées de toutes les couleurs pour faire des signaux, et des pétards aussi, mais c'est des pétards qui font mal ceux-là....seulement on n'a pas toujours envie de danser.
-ironie du sort, mon grand-père est décédé un 14 juillet, en plein feu d'artifice...-


Donc, le matin du 14 juillet on me prévient que j'étais de garde devant les caves de pinard à Vildemanche (c'était le nom du patelin où nous étions descendus) : ce jour-là nous avons même eu le champagne et un cigare je crois.
La journée se passe encore sans incident, mais le soir ça change.
Tout d'un coup, il était environ minuit vingt. V'là les obus qui rappliquent de tous les côtés, et puis alors ça tapait dur, tu sais, on n'entendait plus qu'un roulement formidable et permanent. Et puis avec ça les gaz...
Nous étions obligés de mettre notre masque.
Alors on s'est mis en tenue, et puis nous sommes allés en soutien à 700 mètres environ en avant du patelin, nous avons passé le restant de la nuit là, et le lendemain matin, comme la canonnade semblait s'être apaisée un peu, nous sommes revenus à Vildomanche.
Le lendemain, c'était le 15 juillet, je croyais que c'était fini, qu'il allaient nous laisser tranquilles; oui, j't'en fiche à 2 heures de l'après-midi, v'là ces vaches de boches qui r'mettent ça comme la veille.
Alors il a fallu reprendre les mêmes emplacements que la nuit précédente; à partir de ce moment-là je ne suis plus redescendu à Vildomanche. Quand je suis redescendu, c'était pour aller mieux qu'au repos! J'y suis bien passé à Vildomanche le 24 juillet, mais c'était sur un brancard.

Donc, comme je te le disais plus haut, nous avons passé le restant de l'après-midi en soutien comme la veille, et à la tombée de la nuit, nous sommes allés un peu plus en avant nous placer dans des carrières de pierres - je te dirais aussi que c'est à partir de ce jour-là, le 15 juillet, que les boches n'ont plus arrêté de reculer.

Moi, je ne m'en faisais toujours pas, tu comprends, j'avais ma "cocote" (la pipe de mon grand-père) alors je n'en demandais pas plus.

Le lendemain, 16 juillet, c'est le jour où Pierre (mon grand-père ensuite a nommé son premier fils Pierre) a été blessé par un éclat d'obus en même temps qu'un de nos copains (qui avait été au bataillon d'instruction avec nous et qui était mitrailleur aux côtés de Pierre) a été tué par le même obus. Il avait reçu un éclat qui lui avait coupé un doigt, un autre qui lui avait éraflé la joue, et un autre qui lui a traversé la tempe... Il est mort une demie-heure après, à ce que Pierre m'a dit.

Enfin la journée du 16 juillet, nous sommes restés dans la carrière; ça bombardait pas mal ce jour-là.
Le lendemain, la même chose, comme ça jusque vers le 18 ou 19 je ne me rappelle plus au juste....Moi je fumais des pipes et des pipes, jusqu'à la gauche je n'arrêtais pas de la journée, c'est vrai qu'il n'y avait pas que moi, tous les poilus en faisaient autant.
C'est tout le contraire d'ci, ici (mon grand-père a été soldat au Maroc c'est de là qu'il a rédigé cette missive...) je ne fume pas du tout car il fait trop chaud, et puis d'abord je n'ai pas de "cocote"; peut-être que cet hiver j'en achèterais une; pourtant le tabac n'est pas cher ici tu sais, sept sous le paquet de 26 cigarettes.

Enfin, le 18 ou 19, (j'étais pas loin d'être blessé à ce moment-là) nous montons la nuit dans un petit bois, comme troupe de réserve; là nous étions bien à l'abri, dans un grand trou (ce qu'on appelle "une sape" au front) qui avait au moins 12 mètres de profondeur, recouvert avec de la terre. Les marmites pouvaient toujours dégringoler dessus!
Là j'y suis resté jusqu'à l'attaque du 23 juillet.
Je me rappelle très bien que c'est la nuit du 21 que j'ai appris que Pierre avait été blessé et l'autre copain tué.
Cette nuit-là, j'avais été à la soupe, et tu sais, j'ai attrapé chaud parce que ça bombardait et nous n'en sommes pas tous revenus.

Enfin, je termine ici mon récit, un autre jour je te raconterai la journée du 23 juillet, ça c'est un jour que je me rappellerai longtemps....(Hélàs je n'ai pas ce récit...)

Bons baisers et bonne santé à tous.

Adolphe Perrin (23 Mars 1898 - 14 juillet 1973)

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Je vous joins cette photo de mon grand-père maternel prise en 1920 au Maroc.
Il est celui qui a un air rêveur...avec un chat dans ses bras...

alexia5901

Je vous laisse, le Tour de France arrive près de ma maison dans les minutes qui suivent !
Je vous quitte ensuite jusqu'à la semaine prochaine, coupure volontaire du net pour moi...mais c'est pour mieux vous retrouver!
Je pense essayer de teindre du fil à broder durant ces "vacances"....
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Commentaires
L
tu as un blog magnifique, quelle créativité, je reviendrai te voir avec plaisir, bravo!<br /> bisous
B
C'est trés gentil de nous faire partager ce courrier, c'est pour deschoses comm celle-ci que je t'ai décerné un prix, vas voir sur mon blog<br /> Bisous
M
C'est vraiment très émouvant, merci de nous faire partager ces souvenirs si précieux... Pour ne jamais oublier...<br /> <br /> A très bientôt!
M
Je suis vraiment très émue par cette lettre, j'ai bu les mots de ton grand père<br /> <br /> je sais qu'il est fier de toi de là où il est<br /> <br /> merci pour ce partage, merci d'être qui tu es<br /> <br /> Ta soeurette
H
Comme quoi la blessure de la Grande Guerre était encore vivace en 1919 ... Mon arrière-grand-père est décédé des suites de "gazages" en 1915 je crois ... et ma grand-mère était de 1914.<br /> Quant à mon grand-père, durant une nuit en 1944, il a entendu un drôle de "zzzzzwwwwfffff" à côté de son oreille.<br /> le lendemain matin, en mettant ses chaussons restés au pied du lit, quelque chose le gênait ... UN ECLAT D'OBUS ... C'était du côté de Toul ...<br /> <br /> Gros bisous, Hélène (et Mahélia qui gazouille à fond derrière moi)
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